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CORIOLAN.

lez. (À Coriolan, qui se lève et veut sortir.) Non, demeurez à votre place.

premier sénateur.—Asseyez-vous, Coriolan, et n’ayez pas honte d’écouter le récit de ce que vous avez fait de glorieux.

coriolan.—J’en demande pardon à vos Honneurs : j’aimerais mieux avoir à guérir encore mes blessures que d’entendre répéter comment je les ai reçues.

brutus, à Coriolan.—Je me flatte que ce n’est pas ce que j’ai dit qui vous fait quitter votre siège ?

coriolan.—Non : cependant j’ai souvent fui dans une guerre de mots, moi qui ai toujours été au-devant des coups. Ne m’ayant point flatté, vous ne m’offensez pas : Quant à vos plébéiens, je les aime comme ils le méritent.

ménénius.—Je vous prie, encore une fois, asseyez-vous.

coriolan.—Autant j’aimerais me laisser gratter la tête au soleil pendant qu’on sonne l’alarme, que d’être tranquillement assis à entendre faire des monstres de mes riens.

(Il sort.)

ménénius.—Chefs du peuple, comment ce héros pourrait-il flatter votre multitude toujours croissante, où l’on ne trouve pas un homme de bien sur mille, lui qui aimerait mieux risquer tous ses membres pour la gloire, qu’une seule de ses oreilles pour s’entendre louer.—Commencez Cominius.

cominius.—Je manquerai d’haleine ; et ce n’est pas d’une voix faible que l’on doit annoncer les exploits de Coriolan. On convient que la valeur est la première des vertus, et la plus honorable pour celui qui la possède. Le monde n’a donc point d’homme qui puisse balancer à lui seul l’homme dont je parle. A seize ans, lorsque Tarquin rassembla une armée contre Rome, Marcius surpassa tous les Romains. Notre dictateur d’alors, qui est assis là, et que je signale à vos éloges, le vit combattre, lorsqu’avec son menton d’amazone, il chassa devant lui les moustaches hérissées. Debout, au-dessus d’un Romain terrassé qu’il couvrait de son corps, il immola, à la vue du consul, trois adversaires acharnés contre lui. Il attaqua Tarquin lui-même, et le coup qu’il