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ACTE III, SCÈNE II.

coriolan.—Que faut-il faire ?

ménénius.—Retourner vers les tribuns.

coriolan.—Et ensuite ?

ménénius.—Rétracter ce que vous avez dit.

coriolan.—Pour eux ? Je ne pourrais pas le faire pour les dieux mêmes ; et il faut que je le fasse pour les tribuns ?

volumnie.—Vous êtes trop absolu, quoique vous ne puissiez jamais avoir trop de cette noble fierté, sauf quand la nécessité parle… Je vous ai ouï dire que l’honneur et la politique, comme deux amis inséparables, marchaient de compagnie à la guerre. Eh bien ! dites-moi quel tort l’un fait à l’autre dans la paix, pour qu’ils ne s’y trouvent pas également unis ?

coriolan.—Assez, assez.

ménénius.—La question est raisonnable.

volumnie.—Si l’honneur vous permet, à la guerre, de paraître ce que vous n’êtes pas (principe utile que vous adoptez pour règle de votre conduite), pourquoi serait-il moins raisonnable ou moins honnête que la politique fût, dans la paix, la compagne de l’honneur, puisque, à la guerre, ils sont également indispensables ?

coriolan.—Pourquoi me pressez-vous par vos raisonnements ?

volumnie.—Parce qu’il s’agit de parler au peuple, non pas d’après votre opinion personnelle, ni en obéissant à la voix de votre cœur, mais avec des mots que votre langue seule assemblera, syllabes bâtardes que votre âme véridique désavouera. Non, il n’y a pas à cela plus de déshonneur pour vous qu’à prendre une ville avec de douces paroles, lorsque tout autre moyen mettrait votre fortune en péril et coûterait beaucoup de sang. Moi, je dissimulerais avec mon caractère naturel, lorsque mes intérêts et mes amis en danger exigeraient de mon honneur que je le fisse : et en cela, je pense comme pensent votre épouse, votre fils, ces sénateurs et toute cette noblesse.—Mais vous, vous aimerez mieux montrer à notre populace un front menaçant que de lui accorder une seule caresse pour gagner son amour, et prévenir des événements qui peuvent tout perdre.