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ACTE V, SCÈNE II.

l’on me considère ici, tu verras qu’une imbécile de sentinelle comme toi ne peut pas m’empêcher d’approcher de mon fils Coriolan ; devine, à la manière dont il va me traiter, si tu n’es pas à deux doigts de la potence, ou de quelque autre mort plus lente et plus cruelle : regarde bien, et tremble sur le sort qui t’attend.—(A Coriolan.) Que les dieux assemblés à toutes les heures s’occupent sans cesse de ton bonheur et qu’ils t’aiment seulement autant que t’aime ton vieux père Ménénius ! Ô mon fils, mon fils ! tu prépares des flammes pour nous ! Regarde, voici de l’eau pour les éteindre. J’ai eu de la peine à me résoudre à venir vers toi ; mais chacun m’assurant que je pouvais seul te fléchir, j’ai été poussé hors de nos portes par des soupirs. Je te conjure de pardonner à Rome et à tes concitoyens suppliants. Que les dieux propices apaisent ta fureur, et en fassent tomber le dernier ressentiment sur ce misérable qui, comme un bloc insensible, m’a refusé tout accès auprès de toi !

coriolan.—Loin de moi !

ménénius.—Comment, loin de moi !

coriolan.—Je ne connais plus ; ni femme, ni mère, ni enfant. Ma volonté ne m’appartient plus ; elle est engagée au service d’autrui : et quoique je me doive à moi ma vengeance personnelle, le pardon de Rome est dans le cœur des Volsques. Nous avons été unis par l’amitié ; un ingrat oubli en empoisonnera le souvenir plutôt que de permettre à ma pitié de me rappeler combien nous fûmes intimes. Ainsi, laisse-moi : mon oreille oppose à tes demandes une dureté plus inflexible que le fer que vos portes opposent à ma force. Pourtant, car je t’ai tendrement aimé, prends avec toi cet écrit ; je l’ai tracé pour toi, et je te l’aurais envoyé. (Il lui remet un papier.) Pas un mot de plus, Ménénius, je ne l’écouterai pas de toi. (Il lui tourne le dos et le quitte.) (À Aufidius.) Ce vieillard, Aufidius, était pour moi un père dans Rome ; et tu vois…

aufidius.—Tu sais soutenir ton caractère.

(Ils sortent ensemble.)

premier soldat.—Eh bien ! votre nom est donc Ménénius ?