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ÉTUDE

interrompue et suppléée par la représentation muette des faits mêmes. Gower explique ensuite ce que la scène muette n’a pas éclairci. Il parait, non-seulement au commencement de la pièce et entre les actes, mais dans le cours de l’acte même, aussi souvent qu’il convient d’abréger par le récit quelque partie moins intéressante de l’action, pour avertir le spectateur d’un changement de lieu ou d’un laps de temps écoulé, et transporter ainsi son imagination partout où une scène nouvelle demande sa présence. C’était déjà là un progrès ; un accessoire inutile était devenu un moyen de développement et de clarté. Mais Shakspeare devait bientôt rejeter comme indigne de son art ce moyen factice et maladroit ; bientôt il devait instruire l’action à s’expliquer d’elle-même, à se faire comprendre en se montrant, et rendre ainsi à la représentation dramatique cette apparence de vie et de réalité vainement cherchée par une machine dont les rouages s’étalaient si grossièrement à la vue. Dans le cours des œuvres de Shakspeare, on ne trouve plus que Henri V et le Conte d’hiver où le chœur vienne encore soulager le poëte dans le difficile travail de transporter les spectateurs à travers le temps et l’espace. Le chœur de Roméo et Juliette, conservé peut-être comme un reste de l’ancien usage, n’est qu’un ornement poétique étranger à l’action. Après Périclès, les représentations muettes ont complètement disparu ; et si les trois Henri VI n’attestent pas, par la force de la composition, une étroite parenté avec le système de Shakspeare, du moins, dans les formes matérielles, rien ne les en sépare plus.

De ces trois pièces, la première a été absolument contestée à Shakspeare, et il est, à mon avis, également difficile de croire qu’elle lui appartienne en entier et que l’admirable scène de Talbot avec son fils ne porte pas l’empreinte de sa main. Deux anciens drames imprimés en 1600 renferment le plan et même de nombreux détails de la seconde et de la troisième partie de Henri VI. On a longtemps attribué à notre poëte ces deux ouvrages