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SUR SHAKSPEARE.

évidemment aspiré plus haut dans Timon d’Athènes. C’est un essai dans ce genre savant où le ridicule naît du sérieux et qui constitue la grande comédie. Les scènes où les amis de Timon s’excusent, sous divers prétextes, de venir à son secours, ne manquent ni de vérité ni d’effet. Mais, d’ailleurs, la misanthropie de Timon aussi furieuse que sa confiance a été extravagante, le caractère équivoque d’Apémantus, la brusquerie des transitions, la violence des sentiments forment un spectacle plus triste que vrai, et trop peu adouci par la fidélité du vieil intendant. Bien inférieur à Timon, le drame de Troïlus et Cressida présente cependant une conception habile ; c’est la résolution que prennent les chefs grecs de flatter l’orgueil stupide d’Ajax et d’en faire le héros de l’armée, pour humilier le superbe dédain d’Achille et obtenir de sa jalousie les secours qu’il a refusés à leurs prières. Mais l’idée en est plus comique que l’exécution ; et ni les bouffonneries de Thersite, ni la vérité du rôle de Pandarus ne suffisent pour donner à la pièce cette physionomie plaisante sans laquelle il n’y a point de comédie.

Ces quatre ouvrages, plus étrangers que les autres comédies au système romanesque, appartiennent aussi plus complètement à l’invention de Shakspeare. Les Joyeuses Bourgeoises de Windsor sont une création originale ; on n’a découvert aucun récit où Shakspeare ait pris le sujet de la Tempête ; la composition de Timon ne doit rien au passage de Plutarque sur ce misanthrope ; et à peine, dans Troïlus et Cressida, Shakspeare a-t-il emprunté quelques traits à Chaucer.

La fable du Marchand de Venise rentre tout à fait dans le roman, et Shakspeare l’en a tirée comme le Conte d’hiver, Beaucoup de bruit pour rien, Mesure pour mesure, et tant d’autres, pour l’orner seulement du gracieux éclat de sa poésie. Mais un incident du sujet a conduit Shakspeare sur les limites de la tragédie, et il a soudain reconnu son domaine ; il est rentré dans ce monde réel où le comique et le tragique se confondent, et, peints