Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/297

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lédiction, — celle du fratricide !… Je ne puis pas prier, — bien que le désir m’y pousse aussi vivement que la volonté ; — mon crime est plus fort que ma forte intention ; — comme un homme obligé à deux devoirs, — je m’arrête ne sachant par lequel commencer, — et je les néglige tous deux. Quoi ! quand sur cette main maudite — le sang fraternel ferait une couche plus épaisse qu’elle-même, — est-ce qu’il n’y a pas assez de pluie dans les cieux cléments — pour la rendre blanche comme neige ? À quoi sert la miséricorde, — si ce n’est à affronter le visage du crime ? — Et qu’y a-t-il dans la prière, si ce n’est cette double vertu — de nous retenir avant la chute, — ou de nous faire pardonner, après ? Levons donc les yeux ; — ma faute est passée. Oh ! mais quelle forme de prière — peut convenir à ma situation ?… Pardonnez-moi mon meurtre hideux !… — Cela est impossible, puisque je suis encore en possession — des objets pour lesquels j’ai commis le meurtre : — ma couronne, ma puissance, ma femme ? — Peut-on être pardonné sans réparer l’offense. — Dans les voies corrompues de ce monde, — la main dorée du crime peut faire dévier la justice, — et l’on a vu souvent le gain criminel lui-même — servir à acheter la loi. Mais il n’en est pas ainsi là-haut : — là, pas de chicane ; là, l’action se poursuit — dans toute sa sincérité ; et nous sommes obligés nous-mêmes, — dussent nos fautes démasquées montrer les dents, — de faire notre déposition. Quoi donc ! qu’ai-je encore à faire ? — Essayer ce que peut le repentir ? Que ne peut-il pas ? — Mais aussi, que peut-il pour celui qui ne peut pas se repentir ? — Ô situation misérable ! ô conscience noire comme la mort ! — ô pauvre âme engluée, qui, en te débattant pour être libre, — t’engages de plus en plus ! Au secours, anges, faites un effort ! — Pliez, genoux inflexibles ! Et toi, cœur, que tes fibres d’acier