Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/76

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l’effet doit forcer le roi coupable à révéler son crime. On comprend alors combien lui importe la manière dont cette pièce sera interprétée. Hamlet n’a sous la main que des comédiens ambulants, des saltimbanques aux habitudes vicieuses, aux contorsions grotesques, au costume ridicule. Or, si la représentation qui doit avoir lieu devant Claudius n’a pas la solennité nécessaire, si tel acteur déclame comme un crieur public, si tel autre a une perruque par trop ébouriffée, si le clown fait, au moment le plus intéressant, une de ces mauvaises plaisanteries dont il a l’habitude, eh bien ! l’effet qu’Hamlet veut obtenir est manqué. Cette tragédie terrible dont le dernier acte doit se jouer hors de la coulisse, finit comme une farce de la foire, au milieu des éclats de rire et des huées. Si, au contraire, la représentation marche bien, le résultat est certain. Plus le jeu des comédiens sera naturel, plus l’émotion de Claudius sera forte ; plus le geste du meurtrier imaginaire sera vrai, plus l’épouvante du meurtrier réel sera visible.

Il est donc nécessaire qu’Hamlet fasse répéter la pièce avec le plus grand soin avant qu’elle soit jouée. Et, en effet, ce n’est que quand les acteurs sont bien exercés et bien dressés que la représentation a lieu. Alors nous assistons à une scène extraordinaire, une scène incomparable, une scène unique.

L’intermède commence ; et sur ce tréteau, dressé au milieu de son palais, Claudius voit tout à coup se dérouler la tragédie dont il croyait avoir seul le secret. Dans ce bosquet de carton, il reconnaît le jardin royal ; sur cette planche de bois peint, il revoit le banc de fleurs où il avait l’habitude de s’asseoir ; dans ce baladin fardé, qui porte une couronne de papier doré, il retrouve son propre frère, le roi légitime, Hamlet ! Dans cette princesse de théâtre, qui minaude tant de protestations d’a-