Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/89

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» Je me mis à rechercher toutes les traces du caractère d’Hamlet, pour le voir tel qu’il était avant la mort de son père. Je tâchai de distinguer ce qui y était indépendant de ce douloureux événement, indépendant des douloureux événements qui suivirent, et de deviner ce que le jeune homme eût été très-probablement si rien de pareil n’avait eu lieu.

» Tendre et d’une noble tige, cette royale fleur avait grandi sous l’influence immédiate de la majesté : l’idée de la rectitude morale jointe à l’idée de son élévation princière, le sentiment du bien ennobli par la conscience d’une haute naissance, s’étaient développés en lui simultanément. Il était prince et né pour l’être, et il désirait régner, afin que les hommes de bien fussent bons sans obstacle. Agréable extérieurement, poli par la nature, courtois du fond du cœur, il devait être le modèle de la jeunesse et la joie du monde.

» Sans passion dominante, l’amour qu’il avait pour Ophélia était un secret pressentiment des plus doux besoins. Son ardeur pour les exercices chevaleresques ne lui était pas entièrement naturelle ; il fallait qu’elle fût excitée et enflammée par la louange accordée à d’autres et par le désir de les dépasser. Pur de sentiment, il reconnaissait vite l’honnêteté, et il savait apprécier cette paisible confiance dont jouit une âme sincère en s’épanchant dans le cœur d’un ami. Jusqu’à un certain point, il avait appris à honorer ce qui était bon, beau dans les arts et dans les sciences ; la médiocrité, le vulgaire l’offusquaient, et, si la haine pouvait prendre racine dans son âme, ce n’était que pour lui faire mépriser justement les êtres faux et changeants qui rampent dans une cour, et pour lui permettre de s’amuser d’eux avec l’aisance de la raillerie. Il était calme dans son tempérament, franc dans sa conduite,