Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/30

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Elle soufflait dans un cor d’ivoire une fanfare inouïe, et tenait en laisse trois lévriers, tandis que deux épagneuls accouplés haletaient derrière elle. À l’arçon de sa selle, brodée de pierreries, pendaient un arc et des flèches.

En voyant cette écuyère, un poëte païen l’eût prise pour Diane chasseresse. Mais Thomas était trop bon catholique pour faire une pareille supposition. Selon lui, une apparition si belle ne pouvait être que la bonne Vierge :

He said yonder is Mary of Myght
That bare the child that died for me,
Certes but I may speak with that lady bright,
My heart will breke in three.

« Il dit : c’est Marie, pleine de puissance, mère de l’enfant qui mourut pour moi. Certes, si je parlais à cette dame brillante, mon cœur se briserait en trois. »

Ébloui de cette majesté divine, le ménestrel se leva et voulut se retirer au haut de la montagne. Mais l’inconnue courut après lui.

— Pourquoi me fuis-tu ? lui dit-elle.

— Ayez pitié de moi, reine du ciel, fit Thomas en tombant à genoux.

— Je ne suis pas reine du ciel, mais souveraine d’un autre pays. En ce moment, je chasse la bête sauvage, et voici mes limiers en arrêt.

Rassuré dans ses scrupules religieux, le ménestrel changea de ton.

— Si vous chassez la bête sauvage, dit-il en riant, alors vous m’avez pour proie, belle dame ! je suis à vous, soyez à moi.

Et Thomas saisit l’écuyère par le bas de sa robe.

— Que faites-vous ?

— Je vous aime.

— Laissez-moi. Savez-vous que, si vous me touchez, je perds toute ma beauté ?