Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/302

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de me dire ce que fait à présent mon seigneur Angoulafre’ et par quel hasard tu parais ici avec son anneau ? » À cette question, Huon répondit tout simplement qu’il avait pourfendu en duel le géant, et qu’il s’était emparé de sa bague après l’avoir occis.

L’amiral Gaudisse, qui ouvrait déjà la bouche pour se laisser arracher ses quatre dents, la referma aussitôt avec emportement. Il n’eût consenti à cette extraction désagréable que pour ne pas encourir la colère du terrible géant. Mais maintenant qu’il savait le géant mort, il n’avait plus peur de rien. Il se tourna donc vers ses gardes, et leur ordonna avec autorité d’arrêter ce scélérat, qui venait d’égorger son hôte et de baiser sa fille. À l’instant même, les satellites de l’amiral se précipitent sur l’intrus. Huon n’a que le temps de sauter sur un rétable de marbre ; c’est de là qu’il soutient une lutte inégale contre cette soldatesque qui se renouvelle continuellement. À peine a-t-il fait voler une tête qu’une autre la remplace. Huon n’a qu’un bras, et l’ennemi en a dix mille. Bientôt, épuisé, défaillant, Huon n’a plus qu’une ressource, c’est d’appeler Obéron à son aide. Il embouche le cor, et il souffle la fanfare la plus désespérée. Hélas ! personne ne paraît. Obéron a bien entendu l’appel, mais il ne peut y répondre, car le mensonge que Huon a commis pour entrer dans le palais interdit au roi des fées de le secourir. Ne pouvant plus se défendre, Huon est fait prisonnier, garrotté et plongé dans un cachot, où l’amiral Gaudisse le condamne à mourir de faim.

Mais le petit Cupidon est moins scrupuleux que le petit Obéron. L’amour protége le pécheur que la féerie abandonne. Esclarmonde, que Huon a séduite, séduit le geôlier de Huon, et, en cachette, porte des vivres à son bien-aimé. Grâce aux soins de la princesse, le prisonnier, que Gaudisse croit mort, se porte parfaitement. Il n’attend plus qu’une occasion pour s’évader : un événement extraordinaire la lui fournit. Cet événement n’est ni plus ni moins que l’arrivée du géant Agrapard, souverain de Nubie, lequel vient d’envahir les États de l’amiral Gaudisse pour le soumettre à un énorme tribut. Ce géant est encore plus terrible que son frère, feu Angoulafre. On voit d’ici l’épouvante de Gaudisse. Combien il regrette alors d’avoir fait mourir ce bon chrétien qui avait vaincu Angoulafre ! lui seul pouvait triompher d’Agrapard ! Plût à Mahom qu’il fût vivant ! Esclarmonde profite du moment pour révéler à son père que Huon n’est pas mort. Bien plus, le captif s’offre, s’il est délivré, à mettre à la raison le redoutable Agrapard. Gaudisse accepte avec enthousiasme. Il rend à Huon ses armes, son gobelet et son cor d’ivoire. Celui-ci relève le gant qu’a jeté Agrapard, et le combat a lieu. Il va sans dire que Huon est vain-