Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/326

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de mériter un éloge ou de s’adonner à quelque honnête métier ; il passait tout le jour à s’étendre au soleil ou à dormir à l’ombre indolente. Une telle fainéantise l’avait rendu lascif et niais.

» Étant rentré vers le crépuscule, il trouva la plus belle créature qu’il eût jamais vue, assise par terre à côté de sa mère. En la voyant, il fut grandement intimidé, et son âme basse fut frappée intérieurement de terreur et d’effroi. De même que celui qui a regardé fixement le soleil, sans y penser, se hâte de détourner ses faibles yeux éblouis de trop d’éclat, de même, l’ayant regardée, il resta longtemps ébahi.

» À la fin, il demanda timidement à sa mère quelle était cette maîtresse créature, d’où elle sortait, masquée sous un si étrange déguisement, et par quel hasard elle était venue là. Mais elle, comme ayant presque perdu l’esprit, ne lui répondit que par des regards effarés ; pareille à un spectre qui, à l’instant, serait ressuscité des bords du Styx où il errait naguère. Ainsi tous deux s’extasiaient d’elle, et tous deux, l’un de l’autre.

» Mais la belle vierge était si avenante et si douce qu’elle daigna abaisser vers eux sa bonne grâce. À leur raison égarée elle adressa ses plus gentilles paroles, et, en peu de temps, elle devint familière à ce lieu désolé. Bientôt le rustre, séduit par sa bienveillance et par sa courtoisie, conçut pour elle une passion vile, et se mit à l’aimer dans son âme bestiale, non pas d’amour, mais de l’appétit brutal, naturel à cette brute.

» La flamme impure lui brûla secrètement les entrailles, et devint vite un feu outrageant. Pourtant il n’avait pas le cœur ni la hardiesse de lui déclarer son désir. Sa chétive pensée n’osait pas aspirer si haut. Mais, par de doux soupirs et des airs aimables, il tâchait de lui faire deviner toute son affection. Il avait pour elle maintes attentions et maints tendres procédés.

» Souvent de la forêt il apportait des fruits sauvages dont les joues empourprées souriaient toutes rouges ; et souvent des petits oiseaux qu’il avait dressés à chanter les louanges de sa maîtresse sur une suave mélodie ; tantôt c’étaient des guirlandes de fleurs que pour ses beaux cheveux il arrangeait, toutes coquettes ; tantôt un écureuil sauvage qu’il lui apportait, et qu’il avait conquis —, captif, pour elle ;