Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/41

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et semble monter vers le château. Déjà elle domine le bruit des conversations. Thomas le Rimeur s’interrompt ; il pâlit, il rougit tour à tour, comme si une émotion puissante venait de s’emparer de lui. Un souvenir, un pressentiment peut-être l’agite. Après quelques instants, un paysan entre dans la salle, et annonce, tout effaré, qu’il arrive quelque chose d’extraordinaire. On vient de voir passer dans le hameau, marchant au pas et côte à côte, un cerf et une biche, blancs comme la neige qu’il y a là-bas sur la cime du mont Fairnalie. Les deux bêtes s’avancent lentement, solennellement, vers le château, sans s’effrayer de la foule qui leur fait cortége.

À peine le paysan a-t-il achevé son récit, que Thomas s’écrie : « Ce signe me regarde ! » Aussitôt il se lève, prend sa harpe, la suspend à son cou, et s’élance à la rencontre des animaux. Dès qu’ils l’aperçoivent, le cerf et la biche se détournent, et, prenant leur course, se dirigent vers le Leader, une rivière profonde qui coule non loin de là. Thomas les suit. Les deux animaux, en quelques bonds, atteignent le bord de la rivière et y plongent pour ne plus reparaître. Thomas est derrière eux. Il s’élance, lui aussi, dans le torrent, et s’y engloutit pour toujours.

Telle fut la fin de Thomas le Rimeur.

Les sceptiques qui la racontent aujourd’hui n’hésitent pas à dire que l’illustre chantre de Tristram et Yseult s’est noyé. Mais, pour les croyants du moyen âge, Thomas n’est pas mort. Ce cerf et cette biche qu’il a suivis ne sont autres que le roi et la reine des fées, venus tout exprès pour le chercher. S’il faut en croire des témoignages circonstanciés, le ménestrel écossais, admis définitivement à la cour des fées, y vit toujours comblé d’honneurs. Attaché à la personne de la reine en qualité