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LE ROI JEAN.

HUBERT.

Non, pas d’autre pour vous que de perdre les yeux.

ARTHUR.

— Ô ciel !… s’il y avait seulement dans les vôtres un atome, — un grain de poussière, un moucheron, un cheveu égaré, — un rien qui gênât ce sens si précieux ! — alors, sentant combien les moindres choses sont douloureuses là, — vous seriez forcé de trouver votre infâme projet bien horrible.

HUBERT.

— Est-ce là votre promesse ? Allons, retenez votre langue.

ARTHUR.

— Hubert, le cri de deux langues — ne serait pas de trop pour défendre deux yeux. — Ne me dites pas de retenir ma langue, ne me le dites pas, Hubert. — Ou bien, Hubert, si vous voulez, coupez-moi la langue, — à condition que je garde mes yeux. Oh ! épargnez mes yeux, — quand ils ne me serviraient à rien qu’à vous regarder toujours. — Tenez, sur ma parole, l’instrument s’est refroidi ; — il ne ferait plus de mal.

HUBERT.

Je puis le réchauffer, enfant.

ARTHUR.

— Non, ma foi : le feu est mort de chagrin — de se voir, lui créé pour notre bien-être, employé — à des violences imméritées. Voyez plutôt vous-même : — il n’y a plus rien de malfaisant dans cette braise ; — le souffle du ciel en a chassé la flamme, — et a jeté dessus les cendres du repentir.

HUBERT.

— Mais je puis la ranimer de mon souffle, enfant.

ARTHUR.

— Si vous le faites, vous n’arriverez qu’à la faire rou-