Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1866, tome 3.djvu/72

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prendre les peuples en traître, et puis après régner au nom du bien public, ah ! tu as raison, Shakespeare, c’est monstrueux !

Les tyrans du Moyen Âge, poussés au mal par la force des choses, nous apparaissent à la fois comme des victimes et comme des bourreaux : ils nous font pitié autant qu’horreur. Voilà pourquoi le poëte a pu, sans inconséquence, rendre Macbeth intéressant. Voilà pourquoi il a pu, sans contradiction, plaindre le roi Jean mourant, et rallier à la cause du fils un peuple justement révolté contre le père. Shakespeare regarde sans doute les crimes de Jean et de Macbeth comme suffisamment expiés par leur chute. Mais il n’en est pas de même des forfaits de Richard. L’assassin passionné de Duncan et le meurtrier sauvage d’Arthur peuvent obtenir un jour l’indulgence du ciel ; mais l’égorgeur civilisé des enfants d’Édouard ne le peut pas. « Richard, s’écrie le poëte par la bouche de Marguerite, Richard ne vit que comme le noir messager de l’enfer ; il ne reste dans ce monde que comme un courtier pour acheter des âmes et les expédier là-bas. Mais voici, voici qu’elle approche, sa fin déplorable et non déplorée : la terre s’entrouvre, l’enfer flamboie, les démons rugissent, pour qu’il soit au plus vite emporté d’ici. »

Shakespeare ne punit Macbeth et Jean que de la déchéance ; il punit Richard III de la damnation.

C’est ainsi que le poëte proportionne toujours la peine à la faute. Mais, remarquons-le bien, si parfois il absout les despotes dans l’autre monde, il les condamne toujours dans celui-ci. Ses drames, si divers qu’ils soient par l’invention des caractères et par la conduite même de l’action, sont dominés par cette pensée suprême qu’il n’y a pas de prescription pour le crime. Selon Shakespeare, les actions des hommes, qu’ils le veuillent ou non, sont