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NOTES.

auteurs dramatiques, Dekker et Chettle, sur un ouvrage appelé Troylus et Cressida. Le sujet avait donc été traité sur le théâtre anglais même avant que Shakespeare s’en emparât. Jusqu’à quel point le poëte s’est-il inspiré de ses devanciers immédiats, nous ne savons, car la tragédie de Dekker et de Cheltle a disparu. Ce qui est certain, c’est que l’idée originale n’appartenait pas à ceux-ci, et que Shakespeare a dû puiser ses inspirations à des sources beaucoup plus hautes. Pour tout ce qui concerne la lutte des Grecs et des Troyens, Shakespeare a évidemment consulté Homère, dont l’Iliade avait été traduite par Chapman, et, en même temps qu’Homère, les livres légendaires publiés dans le moyen âge sur la guerre de Troie : l’Histoire de Troie, de Guido Delle Columne, traduite par Lydgate dès le xve siècle, et le Recueil des Hystoires troyennes, de Raoul Le Febvre, traduit par Caxton en 1471. Pour tout ce qui regarde les aventures de Troylus et de Cressida, Shakespeare a consulté spécialement le vieux poëte Chaucer, qui, dès le xive siècle, avait fait un poëme en cinq chants d’après le beau roman de Boccace Il Filostrato. Ce même roman fut traduit dans notre langue dès le commencement du xve siècle par un grand seigneur amoureux, Pierre de Beauvau, sénéchal d’Anjou, sous ce titre : Le roman de Troïlus. Le lecteur trouvera à la fin de ce volume des extraits de cette traduction remarquable qui lui permettront de comparer Shakespeare et Boccace. Mais Boccace lui-même n’est pas l’auteur de la fable originale. Dans une excellente introduction aux Nouvelles Françoises du xvie siècle, deux archéologues. MM. Moland et d’Héricault, ont démontré que la légende primitive, d’origine française, est l’œuvre de Benoit de Saint-Maur, trouvère normand du xiie siècle. Ils ont également prouvé que, bien longtemps avant d’occuper la scène anglaise, Troylus et Cressida avaient pris possession du théâtre français dans le mystère de la Destruction de Troie la grant, par maistre Jacques Milet, estudiant es loix en la ville d’Orléans, — mystère magnifique où l’on entendait le jaloux Troylus crier à son rival Diomède ces vers peu courtois :

Roy Diomèdes, dictes moy
Comment Briseïda se porte,
Et me contez de son arroy
Et qui c’est qui la reconforte.
Je voudrois qu’elle feust morte !

Aucun document contemporain ne nous permet de préciser avec certitude l’époque à laquelle la pièce de Shakespeare fut repré-