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LE ROMAN DE TROYLUS.

lonté, si qu’on ne pourra apercevoir que jamais amour au cœur me soit entré. Ma jeunesse s’en va d’heure en heure : la dois-je perdre si méchamment ? À faire comme les autres n’a point de péché ni de mal, ni de nul autre ne peut être blâmé… »

Pandaro partit d’avec la belle en bon accord et très-joyeux en courage, et cherchant Troylus, il le trouva en une église pensant, et tantôt qu’il vint à lui, le tira à part et lui commença à dire : « Ami cher, j’ai tel pensement de vous, quand je vous vois à toute heure pour amour languir, que mon cœur en souffre grande part de votre martyre ; et pour vous donner un confort n’ai jamais reposé, et j’ai tant fait qu’à la fin je vous l’ai trouvé : pour vous suis-je devenu moyen (entremetteur) ; pour vous ai-je jeté mon honneur ; pour vous ai rompu honnêteté de l’estomac de ma cousine, et lui ai mis au cœur votre amour, et dedans peu de temps vous le verrez avec plus grande douceur que je ne saurais dire, quand la belle Brisaïda trouverez entre vos bras. Mais Dieu qui voit tout, sait bien qu’à se faire ne m’a point induit espérance de mieux en valoir, mais tant seulement la grande amour que je vous porte. Mais je vous prie, sur tous les biens et plaisirs que jamais vous désirez avoir, que vous y gouverniez si sagement que cette chose vienne à être sue. Vous savez comme elle a toujours eu bonne renommée ; or est venu à présent que vous avez son honneur entre vos mains, et lui pouvez faire perdre son renom quand vous gouvernerez autrement que ne devez, et remarquez qu’elle ne le pourrait perdre sans mon déshonneur, car elle est ma prochaine parente et ait été conduiseur de toute la besogne. » Tout ainsi Troylus jeta un petit soupir, et, en regardant Pandaro au visage, dit : « Je vous jure par celui Dieu qui est au ciel que ne sera jamais sue cette besogne ; mais tant que