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APPENDICE.

votre amour et notre amour ensemble. » Puis qu’ils eurent longuement en cette façon pleuré, pour ce que jà s’approchait le jour, ont laissé leur parlement et se sont recommencé à baiser et à accoller Dieu sait comment. Mais dès que les coqs eurent chanté, après plus de mille baisers se levèrent et prirent congé l’un de l’autre, tout pleins de grandes douleurs et gémissements.

Ce jour même vint Dyomèdes, lequel mena Anthenor avec lui pour rendre aux Troyens, et le roi Pryam rendit Brisaïda, si pleine de pleurs et soupirs et de douleurs, qu’il n’est nul qui la voit en cet état à qui il n’en prenne pitié. D’autre part était Troylus en telle tristesse que jamais homme ne la vit telle… Brisaïda vit que partir lui convenait toute dolente qu’elle était, monta sur la haquenée pour partir avec la compagnie qu’elle devait aller, puis se retourna piteusement vers Dyomèdes et lui dit : Allons-nous-en. Et ceci dit, piqua sa haquenée des éperons, et sans autre mot dire, si non à ses parents adieu. Et ainsi s’en issit de Troie, laquelle, comme je crois, jamais n’y retournera ni avec Troylus ne sera. Troylus, en façon d’une courtoisie, avec plusieurs autres monta à cheval un faucon sur le poing, et lui firent compagnie jusque tout hors la ville, et volontiers par tout le chemin lui eussent faite et jusques au château où elle allait. Mais il se fût trop découvert et lui eût été réputé à peu de sens. Bientôt il fut temps de s’en retourner et prendre congé. Lui et Brisaïda s’arrêtèrent un peu et les yeux s’entrejetèrent l’un à l’autre, puis s’entretouchèrent les mains, et tant s’approchèrent l’un de l’autre que Troylus lui dit tout bassement et tant qu’elle le put bien ouir : « Retournez, m’amour, afin que je ne meure. » Et sans plus dire, retourna son couvre-chef, tout dépiteux en son visage, ni à Dyomèdes