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APPENDICE.

autre que je visse oncques, il me semble tout transmué d’ennui le jour que nous partîmes de Troie. Ni ne sais l’occasion, ni que ce peut être, si ce n’est d’amours, lesquelles, si vous êtes sage, vous chasserez d’avec vous pour les raisons que je vous dirai. Il se peut dire que les Troyens sont par nous tenus en prison, comme vous voyez, et sommes délibérés de ne jamais partir d’ici qu’ils ne soient morts ou défaits, mis à feu et à flambe. Ne croyez pas que nul qui soit dans la ville trouve jamais pitié ni miséricorde à nous. Et s’il y avait bien douze Hectors, ainsi qu’il n’y en a qu’un, et six fois autant de frères, si ne les redoutons-nous point, ni ne sont rien accomparagés à nous ! Ô belle douce dame, laissez aller cette amour fausse des Troyens ; chassez dehors cette espérance qui en vain vous fait soupirer, et rappelez votre claire beauté, laquelle me plaît plus que mille autre choses. Et aujourd’hui est Troie en tel parti qu’il n’y a plus homme là qui n’ait perdu toute espérance ; et si bien elle était pour toujours durer, si sont les rois, fils de roi et tous ceux qui y habitent d’étranges coutumes, et sont de peu de valeur au regard des Grecs qui peuvent aller devant toutes les nations, tant sont pleins de hautes coutumes. Et là vous étiez entre gens ignorans et bestiaux ; et ne croyez pas que l’amitié des Grecs ne soit plus haute et plus parfaite que celle des Troyens. Votre grande beauté et votre visage angélique trouveront assez ici digne serviteur et amant, si vous y prenez plaisir. Aussi gentilhomme suis comme homme qui soit en Troie ; si mon père Thidée eût vécu ainsi qu’il mourut en combattant à Thèbes, il eût été roi de Caldonia et d’Argos, et ainsi comme j’ai espérance d’être ; et se peut dire que je suis descendu de la liguée des dieux. Je vous prie donc, si ma prière doit valoir, que vous chassiez hors cette mélancolie et qu’il vous plaise me prendre à