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CYMBELINE.
pas à risquer sa bague ; — il l’aurait risquée de même, eût-elle été une escarboucle — des roues de Phœbus ; il l’aurait fait sans péril, eût-elle valu — le char radieux tout entier ! Vite je cours en — Bretagne pour mon projet… Vous pouvez, seigneur, — vous rappeler m’avoir vu à votre cour : c’est alors que j’appris — de votre chaste fille quelle vaste différence — il y a entre l’amour et la luxure. Ainsi s’éteignit — mon espoir, mais non mon désir. Ma cervelle italienne, — ayant affaire à votre simplicité bretonne, conçut — un stratagème infâme, mais parfait pour mes intérêts. — Bref, je réussis si bien, — que je revins à Rome avec des preuves assez concluantes — pour rendre fou le noble Léonatus. — Je portai coup à sa confiance — par des témoignages de toutes sortes : c’étaient des notes détaillées — sur les tentures et les peintures de sa chambre à coucher, son bracelet — que j’avais acquis… si vous saviez par quelle supercherie ! Enfin, des révélations — sur les secrets de sa personne, telles qu’il lui était impossible — de ne pas croire le nœud de chasteté conjugale à jamais rompu, — et le pari gagné par moi. Sur ce, — il me semble que je le vois encore…
POSTHUMUS, s’avançant.

Oui, tu le vois, — démon italien ! À moi, trop crédule niais, — infâme meurtrier, brigand ! à moi tout ce qui est — dû à tous les scélérats passés, présents — et à venir !… Oh ! donnez-moi une corde, un couteau, du poison, — et quelque intègre justicier ! Toi, roi, envoie chercher — les tourmenteurs les plus ingénieux : je suis celui — que les plus horribles choses de ce monde corrigent, — étant pire qu’elles toutes ! Je suis Posthumus, — et c’est moi qui ai tué ta fille… Non ! je mens, misérable !… — je l’ai fait tuer par un scélérat moindre que moi, — par un bandit sacrilége ! Elle était le temple de