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SCÈNE IX.
dis-moi, comme à ta pensée même, — ce que tu rumines ; et exprime ce qu’il y a de pire dans tes idées — par ce que les mots ont de pire.
IAGO.

Mon bon seigneur, pardonnez-moi. — Je suis tenu envers vous à tous les actes de déférence, — mais je ne suis pas tenu à ce dont les esclaves mêmes sont exemptés. — Révéler mes pensées ! eh bien, supposez qu’elles soient viles et fausses… — Quel est le palais où jamais chose immonde — ne s’insinue ? Quel est le cœur si pur — où jamais d’iniques soupçons — n’ont ouvert d’assises et siégé — à côté des méditations les plus équitables ?

OTHELLO.

— Iago, tu conspires contre ton ami, — si, croyant qu’on lui fait tort, tu laisses son oreille — étrangère à tes pensées.

IAGO.

Je vous en supplie !… — Voyez-vous, je puis être injuste dans mes suppositions ; — car, je le confesse, c’est une infirmité de ma nature — de flairer partout le mal ; et souvent ma jalousie — imagine des fautes qui ne sont pas… Je vous en conjure donc, — n’allez pas prendre avis d’un homme si hasardeux — dans ses conjectures, et vous créer un tourment — de ses observations vagues et incertaines. — Il ne sied pas à votre repos, à votre bonheur, — ni à mon humanité, à ma probité, à ma sagesse, — que je vous fasse connaître mes pensées.

OTHELLO.

Que veux-tu dire ?

IAGO.

— La bonne renommée pour l’homme et pour la femme, mon cher seigneur, — est le joyau suprême de l’âme. — Celui qui me vole ma bourse me vole une vé-