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SCÈNE IX.
sés que des boucs, — aussi chauds que des singes, aussi lascifs que des loups en rut, et les plus grossiers niais — que l’ignorance ait rendus ivres !… Mais pourtant, je le reconnais, — si la probabilité, si les fortes présomptions — qui mènent directement à la porte de la vérité — suffisent à donner la certitude, vous pouvez l’avoir.
OTHELLO.

— Donne-moi une preuve vivante qu’elle est déloyale.

IAGO.

— Je n’aime pas cet office-là ; — mais, puisque je suis entré si avant dans cette cause, — poussé par une honnêteté et un dévouement stupides, — je continuerai… Dernièrement, j’étais couché avec Cassio, — et, tourmenté d’une rage de dents, — je ne pouvais dormir. — Il y a une espèce d’hommes à l’âme si relâchée — qu’ils marmottent leurs affaires pendant leur sommeil. — De cette espèce est Cassio. — Tandis qu’il dormait, je l’ai entendu dire : Suave Desdémona, — soyons prudents ! cachons nos amours ! — Et alors, monsieur, il m’empoignait, et m’étreignait la main, — en s’écriant : Ô suave créature ! Et alors il me baisait avec force — comme pour arracher par les racines des baisers — éclos sur mes lèvres ; il posait sa jambe sur ma cuisse, — et soupirait et me baisait et criait alors : Maudite fatalité — qui t’a donnée au More !

OTHELLO.

Oh ! monstrueux ! monstrueux !

IAGO.

— Non, ce n’était que son rêve.

OTHELLO.

— Mais il dénonçait un fait accompli. — C’est un indice néfaste, quoique ce ne soit qu’un rêve.

IAGO.

— Et cela peut donner corps à d’autres preuves — qui n’ont qu’une mince consistance.