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SCÈNE X.
le faire, et je veux pour vous — plus que je n’oserais pour moi-même : que cela vous suffise !
IAGO.

— Est-ce que monseigneur s’est irrité ?

ÉMILIA.

Il vient de partir à l’instant, — et, certainement, dans une étrange agitation.

IAGO.

— Lui, s’irriter !… J’ai vu le canon — faire sauter en l’air les rangées de ses soldats, — et, comme le diable, lui arracher de ses bras mêmes — son propre frère ; et je me demande s’il peut s’irriter. — C’est quelque chose de grave alors ; je vais le trouver. — Il faut que ce soit vraiment sérieux, s’il est irrité.

DESDÉMONA.

— Je t’en prie, va !

Iago sort.

À coup sûr, c’est quelque affaire d’État : — une nouvelle de Venise, ou quelque complot tout à coup déniché — ici dans Chypre même, et à lui révélé, — aura troublé son esprit serin. En pareil cas, — il est dans la nature des hommes de quereller pour de petites choses, — bien que les grandes seules les préoccupent. C’est toujours ainsi : — qu’un doigt vous fasse mal, et il communiquera — même aux autres parties saines, le sentiment — de la douleur. D’ailleurs, songeons-y, les hommes ne sont pas des dieux : — nous ne devons pas toujours attendre d’eux les prévenançes — qui sont de rigueur au jour des noces… Gronde-moi bien, Émilia ; — j’ai osé, soldat indiscipliné que je suis, l’accuser dans mon âme d’un manque d’égards ; — mais maintenant je trouve que j’avais suborné le témoin — et qu’il est injustement mis en cause.

ÉMILIA.

— Priez le ciel que ce soit, comme vous pensez, quel-