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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 5.djvu/44

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LES JALOUX.

faites les couronnes ; ici, tout est union, calme, sérénité, cordialité, joie intérieure ; pas d’autre royauté que celle de la fête. Là, dans cette atmosphère malsaine de la cour, les affections humaines s’atrophient et se corrompent ; ici, elles se fortifient et s’épurent à l’air libre. Quelle marâtre que la reine, mais aussi quel père que Bélarius ! Là, l’éducation fausse les sentiments ; elle développe tous les mauvais instincts, toutes les basses cupidités, tous les appétits immondes ; elle tord le sens moral, rend l’âme difforme et produit l’idiot Cloten, ce Caliban de l’antre royal. En revanche, quelle institutrice que la nature ! quelle école que l’exil ! Comme ils sont vaillants et honnêtes ces deux jeunes gens qu’enseigne le proscrit à barbe grise !

Et pour que nous comprenions mieux cette leçon qui est la pensée même de son œuvre, Shakespeare introduit Imogène dans la grotte de Bélarius. Rejetée par le palais, comment va-t-elle être accueillie par la caverne ? Elle s’y traîne, les pieds en sang, chancelante, épuisée, presque morte de faim. Ô ineffable déception ! dans ce repaire où elle s’attendait à rencontrer quelque bête féroce, elle a trouvé des frères ! Voyez quel accueil ils lui font, comme ils s’empressent autour d’elle, comme ils sont aux petits soins ! Imogène veut au moins payer sa nourriture : « De grâce, dit le maître de la grotte, ne nous prenez pas pour des rustres, beau damoiseau, et ne mesurez pas nos bonnes âmes à notre sauvage demeure. Vous êtes le bienvenu. » Et la princesse, étonnée d’une hospitalité si généreuse, se dit tout bas à elle-même : « Voici de bienfaisantes créatures. Dieux ! que de mensonges j’ai entendus ! Nos courtisans disent que tout est sauvage hors de la cour. Expérience, oh ! quel démenti tu leur donnes ! » Ce n’est pas assez qu’Imogène doive la vie à des proscrits, il faut qu’elle leur doive l’honneur. Dé-