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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 5.djvu/444

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APPENDICE.

chassé ceci, ni à quelle fin il voulait tendre, Sicuran lui dit : — Monseigneur, vous pouvez assez clairement connaître combien cette bonne dame se peut vanter d’être bien pourvue et d’ami et de mari, quand l’ami, en un instant, l’a privée d’honneur par mensonge, et a gâté sa renommée et détruit son mari, et que le mari, plus crédule à la fausseté d’autrui qu’à la vérité qu’il a par longue expérience pu connaître, l’a fait tuer et manger aux loups ; et outre tout ceci, le bien et l’amour que le mari et l’ami lui portent sont tels, qu’ayant longuement demeuré avec elle, nul ne la reconnaît. Mais, pour ce que vous connaissez parfaitement ce que chacun de ceux-ci a mérité, s’il vous plaît de grâce spéciale faire punir le trompeur, et pardonner à celui qui a été trompé, je le ferai venir en votre présence et la leur.

Le soudan, délibéré de vouloir en ceci complaire du tout à Sicuran, dit qu’il en était content, et qu’il fît venir la femme, dont Bernard fut fort étonné, car il croyait pour certain qu’elle fût morte. Et Ambroise, prévoyant déjà son malheur, avait peur d’avoir pis que de rendre l’argent, ne sachant s’il devait plus espérer ou craindre que la dame dût venir là ; toutefois, il attendait sa venue avec grande merveille. Ayant donc Sicuran obtenu cette permission du soudan, et s’étant jeté à ses genoux en pleurant, il perdit quasi en un même instant la voix masculine, ensemble la volonté de ne plus vouloir sembler homme, et dit : — Monseigneur, je suis la misérable et infortunée Genèvre, qui suis allée six ans durant, coquinant par le monde en guise d’homme, blâmée faussement et méchamment de ce traître Ambroise, et par ce cruel et mauvais homme baillée à tuer par un sien serviteur et à manger aux loups ; puis, déchirant ses habillements de devant, et montrant son sein, se fît connaître au soudan et à toute l’assistance qu’elle était