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APPENDICE.

ensemble, en si grande union et tranquillité, tandis qu’ils furent à Venise, que jamais ne se dirent un mot de travers.

Or les seigneurs de Venise firent change de gens d’armes, qu’ils ont coutumes de tenir en Cipre, choisirent pour capitaine et chef des soldats qu’ils y envoyèrent, le More, lequel étoit bien aise de l’honneur qu’on lui faisoit (qui ne se donne qu’aux personnages vaillans, nobles et fidèles) et néanmoins n’étoit-il trop content, quand il pensoit à la grande distance et à la difficulté du chemin, duquel Disdemone se trouveroit offensée.

Cette dame qui n’avoit autre bien au monde que le More, et qui étoit fort contente du témoignage que son mari avoit eu de sa vertu, par une tant puissante et noble république, ne pouvoit voir l’heure que son mari se mit en chemin avec ses soldats, pour aller quant et luy en un lieu tant, honorable et étoit fâchée de voir le More en peine, et ne sachant l’occasion, elle lui dit un jour, en table.

— Que signifie, mon mari, que, depuis que la seigneurie vous a donné un tant honorable degré, vous êtes tout mélancolique ? L’amour que je vous porte, dit le More à Disdemone, trouble mon contentement de l’honneur que j’ai reçu, pour ce que je vois nécessairement que de deux choses, en doit avenir une, ou que je vous mène avec moi, aux dangers de la mer, ou bien, que pour ne vous mettre en malaise, je vous laisse à Venise. La première me seroit fort fâcheuse, l’autre me feroit hair moi même, pource que vous laissant, je laisserois ma vie.

Disdemone ayant entendu cela, dit : — Permettez-vous qu’une telle chose vous trouble l’esprit ? — Ah, mon mari, quelles pensées avez-vous ? Pourquoi je vous veux