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INTRODUCTION.

suite sa protection. Elle tombe avec une grâce exquise dans le piége tendu par Iago à son inépuisable bonté : « Cher Cassio, je te garantis ta place. Mon mari n’aura pas de repos. Je l’apprivoiserai d’insomnies ! Je l’impatienterai de paroles ! Son lit lui fera l’effet d’une école, sa table d’un confessionnal. Je mêlerai à tout ce qu’il fera la pétition de Cassio. » Diabolique guet-apens : plus Desdémona se montrera bienveillante, tendre et éloquemment charitable, plus elle se compromettra. Plus elle voudra sauver Cassio, plus elle hâtera sa perte. L’ange qui va prier par sa bouche sera le plus actif complice du démon qui blasphème en Iago.

Juste au moment où la Vénitienne jure à Cassio de le défendre, le général arrive, conduit par l’enseigne. Cassio, confus de se trouver surpris dans ce flagrant délit de suppliant, se retire aussitôt. « Ha ! je n’aime pas cela, dit Iago à voix basse. » C’est par ce murmure que commence l’orage qui tout à l’heure éclatera dans le cœur d’Othello. C’est par ce murmure que l’envie va déchaîner la jalousie.

Aidé par Desdémona elle-même, Iago s’avance lentement, prudemment, infailliblement vers le but qu’il s’est assigné. Quelle scène merveilleuse que celle où l’enseigne fait passer le More de la confiance à l’inquiétude ! Avec quel art il accomplit cette périlleuse évolution ! Avec quelle prudence il dose la calomnie ! Ce ne sont d’abord qu’insinuations, réticences, équivoques ; Iago excite, par ses refus d’explication, l’entêtement de son interlocuteur ; il se fait extraire de force la diffamation préconçue ; il se fait arracher par la violence le récit d’un certain rêve où Cassio, endormi près de lui, croyait étreindre Desdémona. — Monstrueux ! monstrueux ! s’écrie Othello déjà en délire. — Non, ce n’était qu’un rêve, réplique l’autre froidement.