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SCÈNE VII.

AGRIPPA.

C’est là qu’elle est apparue, en effet, si mes rapports ne me trompent pas.

ÉNOBARBUS.

Je vais vous dire. — Le bateau où elle était assise, pareil à un trône étincelant, — flamboyait sur l’eau ; la poupe était d’or battu ; — les voiles, de pourpre et si parfumées que — les vents se pâmaient sur elles ; les rames étaient d’argent : — maniées en cadence au son des flûtes, elles forçaient — l’eau qu’elles chassaient à revenir plus vite, — comme amoureuse de leurs coups. Quant à sa personne, — elle appauvrissait toute description ; couchée — sous un pavillon de drap d’or, — elle effaçait cette Vénus où nous voyons — l’art surpasser la nature ; à ses côtés, des enfants aux gracieuses fossettes, pareils à des Cupidons souriants, — se tenaient avec des éventails diaprés, dont le souffle semblait — enflammer les joues délicates qu’il rafraîchissait — et faire ce qu’il défaisait.

AGRIPPA.

Ô splendide spectacle pour Antoine !

ÉNOBARBUS.

— Ses femmes, comme autant de Néréides, — ou de fées des eaux, lui obéissaient sur un regard — et s’inclinaient dans les plus jolies attitudes. Au timon — c’est une sirène qu’on croirait voir commander ; les cordages de soie — frémissent au contact de ces mains, moelleuses comme des fleurs, — qui font lestement la manœuvre. Du bateau, — un étrange et invisible parfum frappe les sens. — Des quais adjacents la cité — avait jeté tout son peuple au-devant d’elle ; et Antoine, — assis sur un trône au milieu de la place publique, y restait seul, — jetant ses cris à l’air qui, si le vide avait été possible, — serait