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ANTOINE ET CLÉOPATRE, ROMÉO ET JULIETTE.

gens de pied qu’il avait sur les coteaux qui sont au-devant de la ville, et de là se prit à regarder ses galères qui partaient du port et voguaient contre celles des ennemis, si s’arrêta tout de pied coi, attendant de voir quelque exploit des gens de guerre qui étaient dedans ; mais incontinent qu’à force de rames ils se furent approchés, ils saluèrent les premiers ceux de César, et ceux de César les resaluèrent aussi, et firent des deux une seule armée, et puis tous d’une flotte voguèrent vers la ville. Antonius n’eut pas plus tôt vu cela que ses gens de cheval l’abandonnèrent et se rendirent à César, et ses gens de pied furent rompus et défaits : par quoi il se retira dedans la ville, criant que Cléopatra l’avait trahi à ceux contre qui il avait entrepris et fait la guerre pour l’amour d’elle. »

(28) « Adonc elle, craignant sa fureur et sa désespérance, s’enfuit dedans la sépulture qu’elle avait fait bâtir, là où elle fit serrer les portes et abattre les grilles et les herses qui se fermaient à grosses serrures et fortes barrières, et cependant envoya vers Antonius lui dénoncer qu’elle était morte : ce qu’il crut tout aussitôt et dit en lui-même : Qu’attends-tu plus, Antonius, quand la fortune ennemie t’a ôté la seule cause qui te restait, pour laquelle tu aimais encore à vivre ? Après qu’il eut dit ces paroles, il entra en une chambre et délaça le corps de sa cuirasse, et quand il fut découvert, il se prit à dire : Ô Cléopatra, je ne suis point dolent d’être privé et séparé de ta compagnie, car je me rendrai tantôt par devers toi : mais bien suis-je marri qu’ayant été si grand capitaine et si grand empereur, je sois par effet convaincu d’être moins magnanime et de moindre cœur qu’une femme. Or avait-il un sien serviteur nommé Éros, duquel il se fiait et auquel il avait longtemps auparavant fait donner la foi qu’il l’occirait quand par lui il en serait requis : il le somma lors de tenir sa promesse : par quoi le serviteur dégaina son épée et retendit comme pour le frapper, mais en détournant son visage d’un autre côté, il se la fourra à soi-même tout au travers du corps, et tomba tout mort aux pieds de son maître : et adonc dit Antonius : Ô gentil Éros, je te sais bon gré et est vertueusement fait à toi de me montrer qu’il faut que je fasse moi-même ce que tu n’as pu faire en mon endroit. En disant ces paroles il se donna de l’épée dedans le ventre, et puis se laissa tomber à la renverse sur un petit lit : si n’était pas le coup pour en mourir soudainement, et pourtant l’effusion du sang se restreignit un peu quand il fut couché, et après qu’il se fut un peu revenu, il pria ceux qui étaient là présents de l’achever d’occire, mais ils s’enfuirent tous de la chambre, et le laissèrent là,