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TROISIÈME HISTOIRE TRAGIQUE.

nom, elle la fit retourner d’extase. Puis elle lui dit :

— Mademoiselle Juliette, je ne sais dont vous procède cette façon de faire, ni cette immodérée tristesse, mais bien vous puis-je assurer que j’ai pensé depuis une heure en çà vous accompagner au sépulcre.

— Hélas ! ma grande amie (répond la désolée Juliette) ne connaissez-vous à vue d’œil la juste occasion que j’ai de me douloir et plaindre, ayant perdu en un instant les deux personnes du monde qui m’étaient les plus chères !

— Il me semble, répond cette bonne dame, qu’il vous sied mal (attendu votre réputation) de tomber en telle extrémité, car lorsque la tribulation survient, c’est l’heure où mieux se doit montrer la sagesse. Et si le seigneur Thibaut est mort, le pensez-vous révoquer par vos larmes ? Que doit-on accuser que sa trop grande présomption et témérité ! Eussiez-vous voulu que Rhoméo eût fait ce tort à lui et aux siens de se laisser outrager par un à qui il ne cédait en rien ? Suffise vous que Rhoméo est vif, et ses affaires sont en tel état qu’avec le temps il pourra être rappelé de son exil, car il est grand seigneur comme vous savez, bien apparenté et bien voulu de tous. Par quoi armez-vous désormais de patience, car combien que la fortune le vous éloigne pour un temps, si suis-je certaine qu’elle vous le rendra au paraprès avec plus d’aise et de contentement que vous n’eûtes onques ; et afin que nous soyons plus assurées en quel état il est, si me voulez permettre de ne vous plus contrister ainsi, je saurai ce jourd’hui de frère Laurens où il est retiré.

Ce que Juliette accorda. Et cette bonne dame prit le droit chemin à Saint-François où elle trouva frère Laurens qui l’avertit que ce soir Rhoméo ne faudrait à l’heure accoutumée visiter Juliette, ensemble lui faire