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APPENDICE.

Rhoméo, de la captivité qui t’est préparée. J’ai connu ton mari dès le berceau. Il m’a toujours commis les plus intérieurs secrets de sa conscience, et je l’ai aussi cher que si je l’avais engendré : par quoi mon cœur ne saurait souffrir qu’on lui fît tort, en chose où je pusse pourvoir par mon conseil. Et d’autant que tu es sa femme, je te dois par semblable raison aimer, et m’évertuer de te délivrer du martyre et angoisse qui te tient assiégée. Entends donc, ma fille, au secret que je vais à présent manifester, et te garde surtout de le déclarer à créature vivante, car en cela consiste ta vie et ta mort. Tu n’es point ignorante, par le rapport commun des citoyens de cette cité et par la renommée qui est publiée partout de moi, que j’ai voyagé quasi par toutes les provinces de la terre habitable : de sorte que par l’espace de vingt ans continus, je n’ai donné repos à mon corps, mais je l’ai le plus souvent exposé à la merci des bêtes brutes par les déserts, et quelquefois à celle des ondes, à la merci des pirates, et de mille autres périls et naufrages qui se retrouvent tant en la mer que sur la terre. Or, est-il, ma fille, que toutes mes pérégrinations ne m’ont point été inutiles, car, outre le contentement incroyable que j’en reçois ordinairement en mon esprit, encore en ai-je recueilli un autre fruit particulier, lequel, avec la grâce de Dieu, tu ressentiras en bref. C’est que j’ai éprouvé les propriétés secrètes des pierres, plantes, métaux et autres choses cachées aux entrailles de la terre, desquelles je me sais aider (contre la commune loi des hommes), lorsque la nécessité me survient, spécialement aux choses esquelles je connais mon Dieu en être moins offensé. Car, comme tu sais, étant sur le bord de ma fosse (comme je suis) et que l’heure approche qu’il me faut rendre compte, je dois désormais avoir plus grande appréhension des jugements de Dieu, que lorsque