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LES COMÉDIES DE L’AMOUR.

étriers sont dépareillés ! » Si le cavalier sort de chez le fripier, le cheval arrive de chez l’équarrisseur : il est « pelé comme un rat, atteint de la morve, affligé d’un lampas, infecté de farcin, accablé d’éparvins, couvert d’avivés, perdu de vertigos, rongé de mites ; l’échine rompue, les épaules disloquées ; muni d’un mors que retient une seule bride, d’une têtière en peau de mouton, raccommodée par de gros nœuds, d’une sangle rapiécée six fois et d’une croupière de velours réparée çà et là avec de la ficelle. » Le don Quichotte de ce Rossinante s’appelle Petruchio et savez-vous quel est le nom de sa Dulcinée ? — Catharina ! Oui, cet original, ce lunatique, ce fou a demandé la main de Catharina, obtenu le consentement du père, et c’est dans ce burlesque équipage qu’il prétend se marier. Vous comprenez l’ébahissement des bons bourgeois de Padoue en voyant apparaître un pareil fiancé. Les gens de la noce supplient Petruchio de revêtir un costume plus digne de la circonstance, mais Petruchio s’y oppose énergiquement : « Trêve de discours, hurle-t-il, c’est moi qu’elle épouse et non mes habits ! » Et il traîne au pied de l’autel sa fiancée stupéfaite. Toute la procession est entrée dans l’église. Le moment est solennel. Le prêtre demande onctueusement à Petruchio s’il consent à prendre Catharina pour femme : — Oui, sacredieu ! rugit Petruchio. À ce cri peu orthodoxe, le curé interloqué a laissé choir son livre ; il se baisse pour le ramasser ; sur ce, Petruchio s’avance et lui allonge un tel horion que le prêtre va s’étaler à côté du livre. Devant cette incroyable violence, qu’a fait la terrible Catharina ? Sans doute, elle qui naguère s’impatientait de rien, elle a dû s’emporter fortement. Les deux époux ont dû se disputer, se quereller, se prendre aux cheveux. L’ogre et l’ogresse ont dû se dévorer. Nullement ; Catharina n’a rien dit, elle n’a pas murmuré,