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LES COMÉDIES DE L’AMOUR.

cès médiocre ; elle reposait, en effet, sur une pensée aussi erronée que paradoxale. Sous prétexte de rétablir dans le ménage la supériorité de la femme, elle faussait la loi naturelle ; elle prêtait à l’épouse les excès du caractère viril, la violence et la rudesse, et à l’époux les exagérations du caractère féminin, la mollesse et la pusillanimité ; elle faisait de l’un une femmelette et de l’autre une virago. Singulière contradiction ! Pour établir l’ascendant de la femme, Fletcher avait commencé par la changer en homme.

Pour établir réellement cet ascendant, il fallait justement faire le contraire ; il fallait nous montrer la femme fondant son empire non sur un tempérament d’emprunt, mais sur son caractère véritable. Il fallait nous la montrer d’autant plus puissante qu’elle est plus humble, d’autant plus influente qu’elle est plus résignée, d’autant plus irrésistible qu’elle est plus femme. Il fallait nous la représenter dans son conflit avec l’homme, armée de faiblesse, cuirassée de patience, invulnérable de bonté. Il fallait enfin nous la faire voir dominant l’homme, non par l’abus de la force, mais par l’excès de la douceur.

Cette idée, traitée magistralement, contenait une œuvre profonde. Shakespeare s’en empara et en fit le sujet d’une ravissante comédie.

Tout est bien qui finit bien est la contre-partie exacte de la Sauvage apprivoisée. Ici, les rôles sont intervertis. Ce n’est plus l’homme qui doit apprivoiser la femme ; c’est la femme qui doit dompter l’homme. L’opiniâtreté de Bertrand est ici l’obstacle à vaincre, comme l’était là l’opiniâtreté de Catharina. Mais, il faut l’avouer, la tâche d’Hélène est plus difficile encore que celle de Pétruchio. Tout à l’heure, c’était une donzelle acariâtre qu’il s’agissait d’attendrir ; maintenant, c’est un fils de famille hautain qu’il faut convertir à l’amour.