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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1869, tome 6.djvu/50

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LES COMÉDIES DE L’AMOUR.

jours d’hiver et la rage funeste de cette bise éternelle, la mort ? Oh ! nul autre qu’un prodigue. Cher ami, vous avez eu un père, puisse votre fils en dire autant[1]. »

Mais Henry restait sourd aux conseils de son ami. Il observait religieusement cet égoïste célibat que lui rendait si facile encore l’indifférence de son cœur : « Ô honte ! reprenait Shakespeare, avoue que tu n’aimes personne, puisque tu es si imprévoyant pour toi-même. Tu es tellement possédé de haine meurtrière, que tu persistes à conspirer contre toi-même en cherchant à ruiner ce toit splendide qu’il devrait être ton plus cher désir de réparer[2]. »

Pour que le jeune comte fût convaincu de ce que lui disait le poëte, il ne fallait qu’une occasion. Les beaux vers sont moins puissants à faire aimer que les beaux yeux. En écoutant Shakespeare, Southampton doutait ; en regardant mistress Élisabeth Varnon, il fut persuadé.

Parente du comte d’Essex, spirituelle, lettrée, voire même un peu savante, belle de cette beauté blonde qui est la splendeur du type anglais, Élisabeth Varnon était digne de séduire le noble maître ès-arts de l’Université de Cambridge. Les deux jeunes gens étaient fiancés par la nature : ils se reconnurent et s’aimèrent. Mais pour qu’ils pussent s’épouser impunément, il fallait que la reine relevât Henri de ses vœux. Se passerait-il du consentement de Sa Majesté ? C’était, on l’a vu, chose bien périlleuse. Le comte se décida sagement à faire demander par ses amis la permission royale ; mais la fille de Henri VIII fut inexorable, elle se refusa obstinément aux instances les plus vives. Un des courtisans les mieux informés, Rowland White, racontait ainsi l’infructueux

  1. Sonnet CXXXIII.
  2. Sonnet CXXX.