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SCÈNE VI.

ce qui se passe, et fixe — un regard de prophétesse sur le cristal qui lui montre les crimes futurs. — Ces crimes, qui, grâce à la tolérance, sont déjà conçus ou vont l’être, — et que l’avenir doit couver et faire éclore, — elle ne leur permettra pas d’avoir une postérité — et de se survivre.

isabelle.

Pourtant faites acte de pitié.

angelo.

— Je fais acte de pitié surtout quand je fais acte de justice. — Car alors j’ai pitié de ceux que je ne connais pas, — et qu’un crime absous corromprait plus tard ; — et je fais le bien de celui qui, expiant un crime odieux, — ne peut plus vivre pour en commettre un second. Prenez-en votre parti ; — votre frère mourra demain ; résignez-vous.

isabelle.

— Ainsi, il faut que vous soyez le premier à appliquer cette sentence — et lui, le premier à la subir ! Oh ! il est beau — d’avoir la force d’un géant, mais il est tyrannique — d’en user comme un géant !

lucio, à part.

Voilà qui est bien dit.

isabelle.

— Si les grands de ce monde pouvaient tonner — comme Jéhovah lui-même, Jéhovah n’aurait jamais de repos, — car le plus chétif, le plus mince ministre — lui remplirait son ciel de tonnerres, — rien que de tonnerres. Ciel miséricordieux ! — quand tu lances tes éclairs sulfureux, — c’est pour fendre le chêne noueux et rebelle, plutôt que — l’humble myrte ! Mais l’homme, l’homme vaniteux ! — drapé dans sa petite et brève autorité, — connaissant le moins ce dont il est le plus assuré, — sa fragile essence, il s’évertue, comme un singe en colère, — à faire à la face du ciel des farces grotesques — qui