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SCÈNE XI.

coupez la gorge à vos créanciers ! Serviteurs forcés, volez ! — Vos graves maîtres sont des filous en grand — qui pillent de par la loi. Servante, au lit de ton maître ! — Ta maîtresse est du bordel. Fils de seize ans, — arrache à ton vieux père impotent sa béquille rembourrée — pour lui faire sauter la cervelle ! Piété, scrupule, — dévotion aux dieux, paix, justice, vérité, — déférence domestique, repos des nuits, bon voisinage, — instruction, mœurs, métiers et professions, — hiérarchies, rites, coutumes et lois, — perdez-vous dans le désordre de vos contraires ; — et vive le chaos ! Fléaux contagieux à l’homme, — accumulez vos plus terribles fièvres pestilentielles — sur Athènes, mûre pour la ruine ! Toi, froide sciatique, — estropie nos sénateurs ; que leurs membres perclus — clochent comme leurs mœurs ! Luxure et libertinage, — infiltrez-vous dans l’esprit et jusque dans la moelle de notre jeunesse, — en sorte qu’elle puisse nager contre le courant de la vertu — et se noyer dans la débauche ! Gales et pustules, — semez vos germes au cœur de tous les Athéniens pour qu’ils en récoltent — une lèpre universelle ! Puisse l’haleine infecter l’haleine, — afin que leur société, comme leur amitié, — ne soit plus que poison ! Je n’emporterai de toi — que ce dénûment, ô ville détestable ! — Garde-le aussi pour toi, avec mes malédictions multipliées !… — Timon s’en va dans les bois ; il y trouvera — la bête malfaisante plus bienfaisante que l’humanité. — Puissent les dieux (vous m’entendez tous, dieux bons !) confondre — les Athéniens au dedans comme au dehors de ces murs ! — Puissent-ils permettre que Timon voie croître avec ses années sa haine — pour toute la race des hommes grands et petits ! — Amen !

Il sort.