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LA PATRIE.

plus ! L’Angleterre va d’une double dorure couvrir sa triste ordure[1] ! »

La raison, l’équité, le bon sens rendent impossible un pareil dénoûment. Pour que le drame conçu par le poëte ait toute sa signification, il faut que les idées délétères, dont Falstaff est l’organe, reçoivent finalement un éclatant désaveu. La fourberie doit être solennellement mystifiée. Le prince Henry ne peut devenir le gouvernant idéal rêvé par Shakespeare, qu’à la condition de renier du haut du trône l’immoralité incarnée dans Falstaff. Et notez-le bien, la disgrâce de sir John n’est pas une mesure improvisée brusquement par le prince repentant ; elle est le résultat d’une longue préméditation. Au commencement même du drame, Henry de Monmouth nous a préparés, dans un monologue intime, à cet acte de nécessaire rigueur. Dès cette première confidence, nous savons que le prince doit un jour se séparer de son trop joyeux compagnon. Mais, pour être exigée par l’honneur, cette séparation n’en est pas moins malaisée. Il est des devoirs rigoureux à accomplir, et celui-là est du nombre. L’âme la plus forte ne saurait sans arrachement se soustraire à l’étrange séduction de cet extraordinaire esprit. Il en coûte au prince de Galles, comme à nous-mêmes, de rompre pour toujours avec un si merveilleux camarade. — La compagnie de Falstaff, c’était le rire perpétuel, c’était la gaîté inépuisable, c’était la joie infinie ! C’était la vie de jeunesse, la vie d’aventure, la vie de plaisir, la vie de folie, c’était la vie de liberté ! Ce lugubre bas-monde paraissait charmant sous le charme de cette verve unique. Sa farce était une féerie. Or, c’est à tout

  1. J’ai été assez heureux pour obtenir de mon ami et allié Auguste Vacquérie la traduction en vers de la célèbre scène où se trouve cette apostrophe. Le lecteur trouvera dans les notes cette page inédite, que je n’ose louer, de crainte de manquer un peu de modestie.