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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/110

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SONNETS.

cruautés, puisque la moindre d’entre elles doit terminer ma vie ? Je le vois, mon existence n’est pas de celles qui dépendent de ton humeur.

Tu ne peux pas me torturer de ton inconstance, puisque je dois succomber à ta première désertion. Oh ! l’heureux privilége que j’ai là, heureux d’avoir ton affection, ou heureux de mourir !

Mais quel bonheur est assez pur pour n’avoir pas de tache à craindre ? Tu peux me trahir sans que j’en sache rien.

XCVI

Ainsi je pourrai vivre en te supposant fidèle, comme un mari trompé ; ainsi, le visage de l’amour pourra me sembler encore l’amour, malgré ton inconstance, et ton regard être avec moi, et ton cœur être ailleurs.

Car, la haine ne pouvant vivre dans tes yeux, je ne pourrai pas lire en eux ton changement. Chez beaucoup, l’histoire des trahisons du cœur est écrite dans un regard, une moue, un froncement, une ride étrange ;

Mais le ciel a décrété, en te créant, qu’une douce sympathie respirerait toujours sur ta face ; quelles que soient tes pensées ou les émotions de ton cœur, ton regard ne peut jamais exprimer que la douceur.

Oh ! comme ta beauté serait pareille à la pomme d’Ève, si ta suave vertu ne répondait pas à ton apparence !