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LE VIOL DE LUCRÈCE.

désespoir ; tous les objets, les uns après les autres, renouvellent la violence de son émotion. Tantôt sa douleur est muette et ne trouve pas de parole ; tantôt elle est frénétique et ne parle que trop.

CLIX

Les petits oiseaux, qui modulent leur joie matinale, exaspèrent ses souffrances par leur suave mélodie, car la gaieté fouille la plaie vive de la douleur. Les âmes tristes sont accablées en compagnie joyeuse. La douleur se plaît surtout dans la société de la douleur. Le vrai chagrin est sensiblement soulagé par la sympathie d’un chagrin semblable.

CLX

C’est double mort de se noyer en vue de la côte ; il souffre dix fois de la faim celui qui en souffre en apercevant les aliments ; entrevoir le baume rend la blessure plus vive. Une grande douleur est plus douloureuse à proximité de ce qui pourrait la soulager. Les souffrances profondes suivent le cours d’un fleuve paisible, qu’un obstacle fait déborder ; la douleur taquinée ne connaît ni loi ni limite.

CLXI

« Oiseaux moqueurs, dit-elle, ensevelissez vos chants sous le duvet de vos gosiers gonflés, et soyez muets pour mon oreille ! Ma discordante agitation n’aime pas les modulations ni les cadences. Une hôtesse malheureuse ne peut souffrir de joyeux convives. Réservez vos ariettes légères pour ceux à qui elles plaisent ; la détresse n’aime