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LE VIOL DE LUCRÈCE.

fensifs qui se font un scrupule de ne parler que par actions, tandis que d’autres promettent hardiment une excessive activité, et puis en prennent à leur aise. Ainsi ce vivant échantillon des siècles passés offrait une mine honnête, mais sans s’engager par une parole.

CXCIV

Cette ardente déférence avait allumé l’inquiétude de Lucrèce, et tous deux avaient le feu au visage ; elle croyait que le valet rougissait parce qu’il savait l’attentat de Tarquin, et, rougissait elle-même, elle le considérait avec attention ; ce regard scrutateur le rendait plus confus encore ; plus elle voyait le sang lui affluer aux joues, plus elle croyait qu’il apercevait sur elle quelque souillure.

CXCV

Mais déjà il tarde à Lucrèce qu’il soit de retour, et pourtant le fidèle vassal ne fait que partir ; elle ne sait comment employer ces moments fastidieux, car maintenant il est inutile de soupirer, de pleurer, de gémir. La douleur a lassé la douleur, les sanglots ont épuisé les sanglots, si bien qu’elle suspend un moment ses plaintes, cherchant un nouveau moyen d’exhaler son désespoir.

CXCVI

Enfin, elle se rappelle que quelque part est pendu un excellent tableau, représentant la Troie de Priam, devant laquelle est développée l’armée grecque, prête à détruire la cité pour venger le rapt d’Hélène, et menaçant de la ruine Ilion qui baise la nue. Le peintre ingénieux a fait la ville si superbe, que le ciel semble se pencher pour en caresser les tours.