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LE VIOL DE LUCRÈCE.

torrent par son élan même jusqu’à l’étroit goulot qui l’a forcé à tant de rapidité ; précipité avec furie, il rétrograde avec une furie égale. Ainsi les soupirs, les souffrances de Collatin pressent l’explosion de son désespoir, puis le forcent à refluer sur lui-même.

CCXL

Lucrèce remarque la muette douleur de son pauvre bien-aimé, et réveille ainsi sa rage inactive : « Cher époux, ton tourment donne une nouvelle force à mon tourment ; ce n’est pas une averse qui peut tarir un torrent. Ton émotion rend plus pénible encore ma trop sensible détresse ; qu’il suffise donc de deux yeux en larmes pour noyer un malheur unique.

CCXLI

» Pour l’amour de moi, de celle qui pouvait si bien te charmer quand elle était ta Lucrèce, écoute-moi maintenant ; venge-toi sur-le-champ de celui qui s’est fait ton ennemi, le mien, le sien ; suppose que tu me protèges contre l’attentat déjà commis ; la main-forte que tu me prêtes arrive trop tard ; mais du moins que le traître meure, car ne pas faire justice, c’est fomenter l’iniquité.

CCXLII

» Mais, avant que je le nomme, dit-elle, s’adressant à ceux qui étaient venus avec Collatin, donnez-moi votre parole d’honneur que vous tirerez au plus vite vengeance de cet affront ; car c’est une action méritoire, légitime, de poursuivre l’injustice d’un bras vengeur. Les chevaliers sont tenus par leurs serments de faire droit aux dames outragées. »