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LES AMIS

Oui, c’est dans la biographie de Shakespeare qu’est l’origine des Deux Gentilshommes de Vérone. Toutes ces émotions que le poëte a fait agir et parler sur son théâtre, l’homme les avait vues agir, les avait entendues parler en lui et près de lui. Ce drame que Shakespeare a mis en scène vers 1594, il l’avait répété avec le concours des deux personnages mystérieux qui figurent avec lui dans ses Sonnets. Lui-même il avait été le héros de ce drame. Soufflé par son propre cœur, il y avait créé le plus beau rôle, il en avait joué les scènes les plus pathétiques, il en avait déclamé les plus fières douleurs, il en avait pleuré les plus nobles larmes, il en avait soutenu le dénoûment. C’est lui qui, en pardonnant à son ami coupable, avait trouvé le geste sublime de Valentin tendant la main à Protée.

II

Les hilotes à Sparte, les parias dans l’Inde, les giaours en Turquie, les nègres en Amérique ont moins souffert que les juifs dans l’Europe chrétienne. Cette malheureuse nation eut à gémir pendant des siècles du préjugé, si puissant encore aujourd’hui, qui fait les enfants solidaires des actions, bonnes ou mauvaises, commises par les parents. Aux yeux des nations chrétiennes, ce peuple était toujours la même populace qui avait réclamé de Pilate le meurtre du Dieu fait homme. Tout chrétien avait contre tout juif un grief personnel et lui gardait rancune du crime commis par Judas. L’israélite était hors de l’humanité : c’était une œuvre pie de l’injurier, de le molester, de le maltraiter. Loin de contrarier la prévention populaire, les gouvernants l’encourageaient et la consacraient. Dès l’an 615, le concile de Paris avait