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ROSALINDE.

Le Normand, voyant ce gentilhomme ainsi enchaîné dans la contemplation des dames, le rappela à lui-même en lui frappant sur l’épaule. Rosader se retourna d’un air irrité, comme s’il avait été réveillé de quelque agréable rêve, et prouva à tous, par la fureur de sa physionomie, qu’il était un homme d’une certaine hauteur de pensées : mais tous remarquant sa jeunesse et la douceur de son visage, s’affligeaient de voir un si beau jeune homme s’aventurer dans une action si infime ; mais, sentant que ce serait pour son déshonneur qu’on le détournerait de cette entreprise, tous lui souhaitaient la palme de la victoire. Quand Rosader eut été rappelé à lui-même par le Normand, il l’accosta d’un si terrible choc que tous deux tombèrent à terre et furent forcés, par la violence de la chute, de reprendre haleine. Durant cet intervalle, le Normand se rappela qu’il avait affaire à celui dont Saladin lui avait demandé la mort ; et, dans cette pensée, il roidissait ses membres et tendait tous ses muscles afin de gagner l’or qui lui avait été si libéralement promis. De son côté, Rosader fixait ses yeux sur Rosalinde qui, pour l’encourager d’une faveur, lui lança un tendre regard, capable de rendre héroïque l’homme le plus lâche. Cette œillade enflamma l’ardeur passionnée de Rosader, si bien que, se retournant vers le Normand, il courut sur lui et l’aborda par un violent choc. Le Normand le reçut vaillamment ; et si acharné fut le combat qu’il était difficile de juger de quel côté la fortune se montrerait prodigue. Enfin Rosader se releva et terrassa le Normand, en tombant sur sa poitrine d’un poids si écrasant que le Normand céda à la nature son dû et à Rosader la victoire.

La mort de ce champion, tout en donnant au vieux campagnard la satisfaction d’être vengé, provoqua l’admiration du roi et de tous le pairs, étonnés que de si