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LE ROI LEAR.

glocester.

— Ô œuvre ruinée de la nature ! Ce grand univers — sera ainsi réduit à néant !… Me reconnais-tu ? —

lear.

Je me rappelle assez bien tes yeux. Tu me regardes de travers ! Bah ! acharne-toi, aveugle Cupidon ! je ne veux plus aimer… Lis ce cartel, remarque seulement comme il est rédigé.

glocester.

— Quand toutes les lettres en seraient des soleils, je ne pourrais les voir.

edgar.

— On raconterait cela, que je ne le croirais pas ; cela est, — et mon cœur se brise.

lear.

Lisez.

glocester.

— Quoi ! avec ces orbites vides !

lear.

Oh ! oh ! vous en êtes là avec moi ! Pas d’yeux dans votre tête, ni d’argent dans votre bourse ! En ce cas, l’état de vos yeux est aussi accablant qu’est léger celui de votre bourse. Vous n’en voyez pas moins comment va le monde.

glocester.

Je le vois par ce que je ressens.

lear.

Quoi ! es-tu fou ? Un homme peut voir sans yeux comment va le monde. Regarde avec tes oreilles. Vois-tu comme ce juge déblatère contre ce simple filou ? Écoute, un mot à l’oreille : change-les de place, et puis devine lequel est le juge, lequel est le filou… Tu as vu le chien d’un fermier aboyer après un mendiant ?

glocester.

Oui, seigneur.