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CORIOLAN ET LE ROI LEAR.

— Tu peux assez connaître de toi-même, mon fils, encore que nous ne t’en disions rien, à voir nos accoutrements et l’état auquel sont nos pauvres corps, quelle a été notre vie en la maison depuis que tu en es dehors : mais considères encore maintenant combien plus malheureuses et plus infortunées nous sommes ici venues que toutes les femmes du monde, attendu que ce qui est à toutes les autres le plus doux à voir, la fortune nous l’a rendu le plus effroyable, faisant voir, à moi, mon fils, et à celle-ci, son mari assiégeant les murailles de son propre pays, tellement que ce qui est à toutes autres le souverain reconfort en leur adversités de prier et invoquer les dieux à leur secours, c’est ce qui nous met en plus grande perplexité : pour ce que nous ne leur saurions demander, en nos prières, victoire à notre pays et préservation de ta vie tout ensemble, mais toutes les plus grièves malédictions que saurait imaginer contre nous un ennemi, sont nécessairement encore en nos oraisons, parce qu’il est force à ta femme et à tes enfants qu’ils soient privés de l’un des deux, ou de toi ou de leur pays. Car, quant à moi, je ne suis pas délibérée d’attendre que la fortune, moi vivante, décide l’issue de cette guerre ; car si je ne te puis persuader que tu veuilles plutôt bien faire à toutes les deux parties que d’en ruiner et détruire l’une en préférant amitié et concorde aux misères et calamités de la guerre, je veux bien que tu saches et le tiennes pour tout assuré, que tu n’iras jamais assaillir ni combattre ton pays, que premièrement tu ne passes par-dessus le corps de celle qui t’a mis en ce monde, et ne doit point différer jusques à voir le jour ou que mon fils prisonnier soit mené en triomphe par ses citoyens, ou que lui-même triomphe de son pays. Or, si ainsi était que je te requisse de sauver ton pays en détruisant les Volsques, ce te serait certainement une délibération trop aisée à résoudre ; car comme il n’est point triste de ruiner son pays, aussi n’est-il pas juste de trahir ceux qui se sont fiés en toi. Mais ce que je te demande est une délivrance de maux, laquelle est également profitable et salutaire à l’un et à l’autre peuple, mais plus honorable aux Volsques pour ce qu’il semblera qu’ayant la