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EXTRAIT DE LA CHRONIQUE BRETONNE.

à chacune d’elles laquelle l’aimait le plus. La question étant posée, Gonorilla, l’aînée, répondit : « Je prends le ciel à témoin que je t’aime plus que mon âme. » Le père répondit : « Puisque tu as fait plus de cas de ma vieillesse déclinante que de ta propre vie, je veux te marier, ma très-chère fille, à celui que tu choisiras et te donner le tiers de mon royaume. » — Alors Regau, la seconde fille, voulant, d’après l’exemple de sa sœur, en imposer à la bonté de son père, répondit sous la foi du serment « qu’elle ne pouvait exprimer autrement sa pensée, mais qu’elle préférait son père à toute créature. » Sur quoi le père crédule lui accorda, comme à sa fille aînée, le choix d’un mari, avec le tiers de son royaume. — Mais Cordeilla, la plus jeune, voyant combien aisément il se satisfaisait des protestations flatteuses de ses sœurs, désira éprouver son affection d’une manière différente : « Mon père, dit-elle, une fille peut-elle aimer son père plus que ne l’exige son devoir ? Dans mon opinion, celle qui prétend cela doit déguiser ses sentiments réels sous le voile de la flatterie. Je t’ai toujours aimé comme un père, et je ne me suis pas encore départie de ce ferme dévouement. Puisque tu insistes pour obtenir de moi quelque chose de plus, sache donc toute l’étendue de l’affection que je te porte, et accepte cette courte réponse à toutes tes questions : autant tu as, autant tu vaux, autant je t’aime. » Le père, supposant qu’elle parlait ainsi du fond du cœur, fut grandement irrité et répondit immédiatement : « Puisque tu as méprisé ma vieillesse jusqu’à me croire indigne de l’affection que tes sœurs ont exprimée pour moi, tu obtiendras de moi une égale sollicitude, et tu seras exclue du partage de mon royaume. Néanmoins, puisque tu es ma fille, je veux bien te marier à quelque étranger, s’il s’en présente un pour t’épouser ; mais jamais, je te l’assure, je ne me préoccuperai de te pourvoir aussi honorablement que