être est la solution de tous ces problèmes réputés jusqu’ici insolubles : quelles relations Shakespeare avait-il avec ses contemporains ? à quel parti politique, à quelle fraction sociale, à quelle communion philosophique ou religieuse appartenait-il ? Sur tous ces points l’histoire est restée complètement ignorante, — si mystérieuse, si obscure, si enveloppée d’ombre a été la vie de ce glorieux être. Du reste, il faut le reconnaître, le poëte n’a rien fait pour dissiper la nuit dont l’homme était entouré. Jamais artiste n’a été plus impersonnel que Shakespeare. Jamais écrivain n’a répandu à la fois plus de rayons sur son œuvre et plus de ténèbres sur son moi. Jamais génie immortel n’a plus fièrement gardé l’anonyme de son éphémère existence.
Une fois pourtant, l’incognito a été trahi. Cette individualité,
qui jamais ne s’est révélée directement au
monde, a laissé échapper une exclamation. Ce cri, cri
unique adressé par Shakespeare à l’un de ses contemporains,
— c’est le devoir du commentateur scrupuleux
de le saisir. Nous le saisissons.
Chacun sait que deux factions se disputaient le pouvoir
à la fin du règne d’Élisabeth, la faction Cecil-Raleigh,
la faction Essex. Par les vers que je viens de traduire,
Shakespeare s’est prononcé entre les deux factions : il a
proclamé hautement, publiquement, intrépidement, ses
vœux pour le succès d’Essex, au moment même où ce
succès semblait le plus compromis. Or, quels motifs pouvaient
décider l’auteur de Henry V à cette option ? Quelles
affinités pouvaient rapprocher William Shakespeare de
Robert Devereux ?
Tout d’abord, entre ces deux hommes, un lien personnel est facile à distinguer : ce lien, c’est l’amitié commune qui les attachait au comte de Southampton. Ce