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LA PATRIE.

dont il était épris, et il avait eu d’elle un enfant qu’il adorait. Il avait ainsi vécu quelque temps de la vie de famille et de la vie des champs, tranquille, modeste et satisfait. Un jour cependant, comme si l’ennui du bonheur l’avait saisi, il avait disparu, laissant là le presbytère, désertant sa femme, abandonnant son enfant. Il s’était jeté sur le continent, y cherchant les aventures ; il avait vu la France, l’Italie, l’Allemagne et la Pologne. Enfin, il était revenu au pays, non pour retourner, hélas ! auprès de sa pauvre femme, mais pour se lier avec une courtisane de bas étage, qui bientôt l’avait dépouillé et lâché. Resté sans ressources sur le pavé de Londres, Greene s’ingénia : il savait écrire, il vécut de sa plume. Vers et prose, sonnets, odes, satires, épigrammes, nouvelles, pastorales, pièces de théâtre, il fit de tout. Il improvisa maints ouvrages dramatiques, entre autres un Roland furieux que sans vergogne il vendit à deux compagnies à la fois, la troupe du lord chambellan et la troupe du lord amiral. Son étonnante facilité finit par le rendre célèbre. Il devint à la mode. La coterie précieuse, qui régnait à la cour d’Élisabeth, s’engoua de ces compositions pseudo-classiques. Son nom fut bientôt sur toutes les lèvres minaudières. Avez-vous lu le Pandosto de Greene ? se demandaient journellement les merveilleuses de l’époque. On parlait de Menaphon presque comme on eût parlé d’Euphues. Certains enthousiastes n’hésitaient même pas à déclarer que Greene était l’égal de Lilly ; et, en 1588, son Périmède parut avec cette épigraphe, signée Elliot, que je transcris textuellement :

Marot et De Mornay pour le language françois.
Pour l’espagnol Gueuare, Boccace pour le toscan,
Et le gentil Sleidan refait l’allemand,
Greene et Lilly tous deux ralfineurs de l’anglois.

Mais ces beaux temps ne pouvaient durer. La pléiade