Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1873, tome 13.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
INTRODUCTION.

avait déclaré bâtarde la fille qu’il avait eue d’elle, il avait banni Catherine de la cour, il l’avait reléguée dans un château-fort où elle était morte de douleur et de délaissement ; afin de satisfaire une passion d’un jour, Henry avait déshonoré, dégradé, dépouillé, torturé et tué lentement la loyale et chaste femme qui avait été sa compagne pendant vingt ans. Comment donc raconter ce forfait royal sans provoquer les rigueurs de la censure monarchique ? Là était la difficulté. D’un côté, il était impossible de développer le drame sans jeter l’odieux sur le caractère sacré de Henry VIII ; d’un autre côté, il était impossible d’attaquer la mémoire de Henry VIII sans compromettre le drame lui-même. Problème redoutable à résoudre. C’est ici que le poëte était obligé de ruser avec son idée. Un sujet si périlleux ne pouvait être traité qu’avec une extrême précaution. Shakespeare se borna donc à mettre en évidence la vérité en laissant le spectateur en tirer la conclusion. Ne pouvant flétrir directement Henry VIII, il dut s’abstenir de tout reproche verbal, mais cette flétrissure, interdite à la parole, il la mit dans l’action. Il chargea les faits de déposer contre le despote. C’est par le crime même qu’il fit condamner le criminel.

Dans l’œuvre que composa alors Shakespeare, vous ne retrouverez donc pas l’éclatante indignation qui retentit ailleurs contre les tyrans, contre Macbeth, contre le roi Jean, contre Richard III. Mais la réprobation, pour être muette, n’en est pas moins profonde. Le caractère de Henry VIII ressort partout de sa conduite même. Chaque geste qu’il fait le dénonce. Tous ses actes décèlent cette nature lâche, ombrageuse, versatile, sensuelle, frivole, hypocrite, cruelle.

Le drame a pour prologue un supplice. Sur un simple soupçon, le roi fait arrêter et mettre en jugement le duc