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LES FARCES.

à nouveau ? Alors métamorphosez-moi, et je céderai à votre puissance. Mais, si je suis ce que je suis, je suis bien sûr que votre sœur éplorée n’est pas ma femme, et que je ne dois pas hommage à son lit. Bien plus, bien plus, je me sens entraîné vers vous… Oh ! ne m’attire pas par tes chants, suave sirène, pour me noyer dans le flot des larmes de ta sœur ; chante, sirène, mais pour toi-même, et je raffolerai. Étends sur les vagues d’argent ta chevelure d’or, et j’en ferai mon lit, et je m’y coucherai, et, dans ce glorieux rêve, je regarderai comme un bien de mourir ! »

Autant l’œuvre latine acquiert en valeur lyrique par la retouche du poëte anglais, autant elle gagne en intensité bouffonne. Shakespeare a développé le sujet comique traité par Plaute jusqu’à sa plus haute puissance, en faisant servir ses deux ménechmes par deux valets jumeaux. L’innovation a été critiquée comme ajoutant une invraisemblance à une invraisemblance ; mais, ainsi que l’a fort bien dit Schlegel, « la première improbabilité admise, nous ne devons pas chicaner sur la seconde ; et, si le spectateur doit être diverti par de pures mystifications, elles ne sauraient être trop variées. » Or l’addition des Dromions, en rendant l’imbroglio plus inextricable, le rend certainement plus réjouissant ; elle a d’ailleurs sa raison d’être dans le mystère même de l’harmonie shakespearienne, qui presque toujours résulte de la réflexion de l’action principale dans une action subalterne. La situation des deux maîtres, l’un marié, l’autre non marié, est reflétée burlesquement par la situation des deux valets, l’un marié, l’autre célibataire. Les aventures du second couple reproduisent en crescendo grotesque les aventures du premier. La tendresse erronée dont la femme d’Antipholus d’Épidamnum poursuit Antipholus de Syracuse, est