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LES FARCES.

rare exemplaire de cette seconde édition, l’exemplaire originairement acquis par Charles Ier et légué par Georges IV à la Bibliothèque nationale. Dans ce volume princier, en tête de la pièce qui nous occupe, on remarque une rature faite de la main même du roi Charles : le titre original twelfth night or what you will, est barré et remplacé par ce nom unique : Malvolio. La critique ne s’est jamais demandé quelle pouvait être la pensée du roi quand il corrigeait ainsi le poëte, appelant l’ouvrage de Shakespeare autrement que ne l’avait appelé Shakespeare, et résumant dans la figure de Malvolio la comédie dont Malvolio n’est certes pas le personnage principal. Je crois entrevoir le motif de cette correction étrange. — Malvolio, rappelons-nous-le, est un puritain, un diable de puritain, the devil a puritan, comme dit la soubrette Maria. Il appartient à ce parti intolérant et farouche qui doit un jour dominer le long Parlement et renverser dans le sang la monarchie des Stuarts. Nul doute que Charles Ier attaqué dès son avènement par ce parti, attaqué, non-seulement dans son trop condamnable despotisme, mais dans sa vie privée, dans ses sympathies domestiques, dans ses mœurs intimes, dans son noble goût pour les arts, dans sa généreuse prédilection pour le théâtre, n’ait vu dans la satire dirigée contre Malvolio une sorte de main-forte prêtée à la cause monarchique par l’auteur d’Hamlet. Les traits lancés contre le rigide intendant d’Olivia retombaient en allusions acérées sur les amers ennemis du bon plaisir royal. Dominé par une préoccupation toute personnelle, Charles Ier devait regarder comme capitale l’excellente farce jouée à « ce diable de puritain, » et il trouvait logique de modifier le titre de la pièce conformément à l’importance suprême qu’il attribuait à ce personnage. Hélas ! la douce épigramme du poëte ne pouvait désarmer l’avenir